Responsable ministériel au numérique en santé, Dominique Pon est l’architecte de la transformation numérique qui traverse aujourd’hui notre système de soins. À la veille d’une année décisive qui marque l’échéance du plan MaSanté 2022, il évoque avec franc-parler la révolution qui va modifier profondément la relation patient-soignant avec la généralisation, dès février prochain, de Mon Espace Santé.
On arrive en 2022, terme du plan MaSanté2022, quel est le plus grand changement à venir l’année prochaine ?
Le plus grand changement, c’est l’arrivée pour tous les Français d’un espace numérique de santé à la main du citoyen, où l’on pourra ranger nos données de santé, partager avec nos professionnels de santé des informations médicales. Ça va s’appeler Mon Espace Santé. Pour moi, c’est le grand changement de paradigme en France en santé et je suis très fier d’avoir porté ça avec tout le monde !
Comment l’arrivée de Mon Espace Santé va-t-elle changer la relation patient-soignant ?
En France, on est hyper paternalistes. Les professionnels de santé, les établissements, les tutelles : longtemps, on s’est dit : « On va faire un truc pour les Français, mais d’abord, le parcours de soins, c’est nous, professionnels, qui allons le gérer ». L’énorme changement avec Mon Espace Santé, c’est qu’on dit à ma tatie qui est dans l’Ariège : “Tu vas pouvoir ranger tes données de santé, tu vas pouvoir écrire un mail à un médecin si tu as une question à lui poser “. Donc, on fait entrer le citoyen dans la boucle. Le changement dans la relation soignant-soigné, c’est redonner le pouvoir aux citoyens, c’est la clé.
C’est un énorme changement. Et comme tout changement, ça fait peur. On est en France, pays de l’autoflagellation permanente, du scepticisme, du pessimisme. Mais je crois qu’un professionnel de santé, c’est aussi un être humain, il est aussi père, fils de gens qui galèrent dans la santé. Et je pense qu’en en tant qu’être humain, citoyen, ça a du sens pour tout le monde de dire : “En France, on a une tradition de pensée humaniste, universaliste. On redonne aux citoyens un rôle, un pouvoir au travers de l’accès au numérique, même si en tant que professionnels, ça nous embête un peu parce qu’il va falloir qu’on change nos habitudes“.
Que diriez-vous aux acteurs de la santé pour les motiver à sauter le pas et à s’engager dans le numérique ?
Je leur dirais qu’on est face à un choix de société. Soit on continue comme aujourd’hui, en avançant en ordre dispersé, en étant incapables de se mobiliser pour un projet national commun, et à ce moment-là, on finira chez Google et Facebook, et on ne sera plus maîtres de notre système de santé parce qu’on ne sera plus maîtres du numérique qui le soutient. Soit humblement, collectivement, pour une fois en France, nous professionnels de santé, associations de patients, citoyens, pouvoirs publics, on se met ensemble et petit à petit, on construit notre souveraineté numérique avec notre cadre de valeurs. On sera peut-être moins forts que Google sur l’intelligence artificielle, mais qu’est-ce qu’on s’en fout ? Construisons, dans notre cadre de valeurs, nos propres plateformes numériques citoyennes, c’est le véritable enjeu !
À votre avis, quel est le plus grand frein aujourd’hui au déploiement du numérique en santé ?
A : Le manque d’interopérabilité
B : Le manque de littératie numérique chez les professionnels de santé
C : Le fait que les professionnels de santé manquent de savoir-faire pour collaborer et se coordonner
D : Le manque de moyens financiers dans les établissements
Réponse E ! (sourires). Il n’y avait pas de volontarisme politique en France depuis 20 ans et ça commence juste depuis quelques années. Le reste, les moyens, franchement, il y en a. On arrivera petit à petit à convaincre les professionnels de santé. L’interopérabilité couvre des sujets techniques complexes, mais qu’on arrivera à résoudre. Pour moi ce qui a vraiment manqué ces 20 dernières années, c’est une vision et un volontarisme politique et ça maintenant, on les a ! C’est pour ça que je suis assez optimiste.
Vous ne pensez pas que le numérique s’accompagne d’une révolution culturelle dans la santé au niveau du management, de la collaboration ?
Dire que le numérique est un changement organisationnel, personnellement je n’y ai jamais trop cru. Le numérique n’est jamais qu’un outil. Ce qu’il apporte, c’est un ensemble de questions autour du partage de l’information, c’est un enjeu de pouvoir plus qu’une technologie : qui décide ? Quand on a commencé à imprimer des livres, les castes religieuses, les nobles disaient : “Mais en fait, il va y avoir une émancipation citoyenne autour de l’accès à la connaissance.” C’est exactement la même chose dans notre rapport au numérique. On redonne le pouvoir aux citoyens et c’est ça qui change tout.
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Mon Espace Santé, c’est quoi ? Dès le 1er janvier 2022, tous les citoyens français pourront activer ce un nouveau service public. Il permettra à chacun de stocker et partager ses documents et ses données de santé en toute sécurité pour être mieux soigné. Il contient :
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